La Traite des Êtres Humains, les entreprises solidairement responsables ?

La Traite des Êtres Humains, les entreprises solidairement responsables ?

La Traite des Êtres Humains, les entreprises solidairement responsables ?

Thierry Marchandise, Nadine Meunier, Sophie Jekeler pour la Fondation SAMILIA

Quand nous parlons de traite des êtres humains, nous pensons naturellement à l’exploitation sexuelle qui avec l’évolution de nos sociétés a pris des formes très diverses et s’est considérablement développée notamment à la suite d’internet.

Il est cependant une autre forme d’exploitation souvent aussi perfide, il s’agit de la traite économique des êtres humains.

C’est une situation récente qui met en lumière toute son acuité.

Une information vient de parvenir selon laquelle la SNCB travaille avec des sous-traitants pour le nettoyage des gares. Cette société sous-traitante utilise du personnel en séjour illégal ou avec le statut de faux indépendants. Plusieurs travailleurs sont aussi des victimes de la traite ; un des employés a signalé avoir du débourser 4.000 euros pour être « amené » en Belgique…

Cet évènement pose plusieurs questions éthiques.

Ainsi, l’utilisation du personnel au noir ou du personnel fragilisé par sa situation de réfugié ou de sans papiers, fausse la juste concurrence entre soumissionnaires de contrats auprès d’organismes publics ou semi-publics.

Il semble que des projets existent visant à corriger cette anormalité en rendant co-responsables le donneur d’ordre et le sous-traitant pour les dettes sociales et fiscales.

La SNCB est manifestement bien consciente de ces difficultés.

Une autre question éthique concerne la responsabilité de l’employeur qui utilise un personnel qui ne peut en aucune façon faire valoir ses droits ou ses exigences légitimes. L’employeur a beau jeu de laisser entendre que celui qui n’est pas d’accord peut être remplacé dans l’heure…

La traite des êtres humains recouvre donc des notions beaucoup plus vastes et complexes que la « seule » prostitution.

La notion d’exploitation étant le commun dénominateur entre la jeune femme redevable envers un proxénète, le serveur corvéable à merci, l’ouvrier de chantier qu’aucune assurance ne couvre, la couturière penchée dix-huit heures par jour sur sa machine, le chauffeur routier soumis à des cadences inhumaines, le travailleur agricole logé dans une étable, l’employée de maison disponible 24h/24h…

C’est la dignité humaine qui se trouve au cœur du débat, notion abstraite laissée à l’appréciation du juge pour différencier l’emploi illégal de main d’œuvre étrangère de la traite des êtres humains.

Lorsque les conditions de travail sont jugées contraires à la dignité humaine, on peut donc bien parler d’esclavage contemporain.

En organisant en octobre 2010 un colloque sur le thème « traite des êtres humains et exploitation économique » la Fondation Samilia tirait déjà la sonnette d’alarme.

En réunissant autour d’une même table auditeurs et inspecteurs du travail, policiers, associations et fédérations patronales, la Fondation Samilia s’est engagée dans une dynamique de collaboration avec tous les secteurs concernés.

A nos yeux, seule une approche multidisciplinaire impliquant le monde judiciaire, les entreprises, les syndicats mais aussi le grand public, pourra peut-être venir à bout de ce fléau.

Il est urgent d’agir. Chaque année, des montants astronomiques (1) échappent aux finances des Etats et s’en vont renforcer les filières criminelles qui les réinvestissent dans d’autres activités illégales, les blanchissent ou encore s’en servent pour s’assurer une certaine impunité. En effet, avec la crise économique et financière, certains États ont été obligés de diminuer drastiquement le salaire de leurs fonctionnaires, les exposant à des manœuvres de corruption.

Paradoxalement, le durcissement des politiques d’immigration et le renforcement des frontières de l’Union Européenne (2) font l’affaire des trafiquants d’êtres humains qui monnaient souvent très cher le voyage vers les pays de destination. De nombreux jeunes –et moins jeunes- provenant de pays où les perspectives d’emploi sont réduites, tentent, parfois au péril de leur vie, de rejoindre l’Union Européenne (3) présentée comme un eldorado.

Dans ce contexte, recruter des victimes pour la traite des êtres humains est la phase la moins difficile du processus car la plupart s’endettent pour payer leur voyage. Une fois arrivées sur place, elles sont obligées de travailler parfois durant des années pour rembourser leur dette (4).

La crise économique fait donc apparaître, comme une évidence, d’une part la nécessité d’insérer des clauses éthiques dans les marchés publics et d’autre part, l’intérêt de renforcer le mécanisme de responsabilité financière automatique de chaque échelon au regard des droits des travailleurs et de la collectivité.

  1. Les victimes de la traite des êtres humains rapporteraient 31,6 milliards de dollars par an, dont 27,8 milliards proviennent de l’exploitation sexuelle. (EUROPOL, mai 2007)
  2. Assuré par la nouvelle agence FRONTEX.
  3. Au sein même de l’UE, des pays comme la Roumanie ou la Bulgarie voient la tranche 16-30 ans de
    leur population se réduire chaque année davantage suite aux départs vers l’étranger.
  4. En vigueur en Roumanie, la Kamata est un système de dette très violent qui est transmissible aux générations et conduit à des formes d’exploitation dont les enfants sont souvent les premières victimes, obligés de ramener de l’argent par tous les moyens pour payer la dette de leurs parents, y compris le vol et la prostitution.