Non à une Villa Tinto à Bruxelles

Non à une Villa Tinto à Bruxelles

Non à une Villa Tinto à Bruxelles – Carte Blanche

Ces derniers jours, la presse s’est largement fait l’écho de la démarche effectuée récemment par un promoteur immobilier anversois auprès des autorités communales schaerbeekoises en vue d’implanter une « Villa Tinto bis » rue d’Aarschot.

« Villa Tinto » est le nom du désormais célèbre bordel high-tech situé au centre du triangle formé par les trois rues où la prostitution est autorisée à Anvers. Vaste complexe de briques et de vitrines, de murs rouge vif et de lumière bleutée, la « Villa Tinto », qui héberge également une antenne de police, est équipée d’un dispositif de sécurité perfectionné et propose ses vitrines en location hebdomadaire aux personnes prostituées en ordre de papiers.

Évidemment, ce concept risque d’intéresser plusieurs bourgmestres bruxellois, soucieux à la fois de diminuer la visibilité de la prostitution et de contenter les riverains que celle-ci dérange. Là où la perception de taxes en tous genres – sur les hôtels de passe, les vitrines, les « serveuses »… – et la multiplication des contrôles policiers se sont avérées relativement inefficaces, le projet « Villa Tinto » semblerait, à qui n’y réfléchit pas trop, remédier à une situation devenue problématique.

En apparence seulement, car les questions que pose ce projet sont d’un tout autre ordre et bien plus préoccupantes.

Aucun impératif sécuritaire ne pourra jamais justifier de condamner à la clandestinité les plus précarisées parmi les personnes prostituées, celles sans titre de séjour, dont la plupart sont sous l’emprise de réseaux de trafic d’êtres humains, ni de contraindre à intégrer une usine du sexe celles qui ne conçoivent leur activité qu’en toute indépendance, et encore moins de sortir le proxénétisme du code pénal pour le légitimer en industrie commerciale.

Pour nous toutes, la dignité du corps n’est pas négociable, quels que soient les prétextes ou les justifications avancés par les uns ou les autres. La prostitution n’est pas, et ne sera jamais un métier comme un autre…

Néanmoins les contraintes économiques de la vie peuvent être sévères et devenir des pièges inextricables. Il n’est donc pas question de juger ceux et celles qui s’engagent dans la prostitution, volontairement ou par nécessité. Mais on peut les aider à se protéger, à préserver leur santé, à retrouver ou à conserver leur dignité, et s’ils le veulent, et quand ils le veulent, à changer de voie.

On doit aussi éviter de banaliser la prostitution en adressant aux clients des signaux tels que ceux lancés par des infrastructures de ce type, faisant décidément basculer dans la relation commerciale labellisée ceux qui auraient pu avoir encore certaines réticences quant au bien-fondé de leur passage à la consommation du corps d’autrui.

Depuis près de dix ans, notamment à l’initiative de la Ligue des droits de l’homme, de nombreuses voix s’élèvent tant contre l’exploitation de la prostitution que sa professionnalisation : femmes et hommes politiques, représentants du monde académique et associatif, de la magistrature, de la police, personnes prostituées et ex-prostituées, journalistes…

Bien plus qu’il n’y paraît, la prostitution nous concerne tous, car elle est le miroir de notre rapport à l’argent, à la sexualité et au pouvoir ; elle est le miroir des rapports entre les hommes et les femmes dans une société, et plutôt que de se donner bonne conscience en l’aménageant superficiellement par des mesures hygiénistes et sécuritaires, ne faisons pas l’économie d’aborder le fond de la question.

Il est prioritaire à nos yeux de s’attaquer aux réalités relayées par les travailleurs de terrain et d’y répondre en termes de volonté politique, pour aménager des solutions fiscales et de protection sociale répondant aux demandes de certaines, pour supprimer des mesures inappropriées comme le délit de racolage ou l’interdiction de se prostituer à plusieurs, pour mettre fin au fichage systématique, pour consacrer davantage de moyens à la prévention et à l’accompagnement, mais aussi pour permettre à ceux et celles qui le désirent de changer d’orientation au moment précis où ils et elles le souhaitent et se sentent enfin prêts…

En d’autres mots, le droit de se prostituer ne se conçoit que si est garanti, corrélativement, le droit de ne pas devoir se prostituer.

(1) Le Nid est une association de terrain dont le but est la rencontre, l’accueil, l’accompagnement et le suivi psycho-médico-social des personnes en lien avec la prostitution. Le Nid assure également l’information des jeunes, des professionnels du social et du secteur de l’Aide à la Jeunesse, et du grand public.

Texte publié sur :
https://www.lesoir.be/art/non-a-une-villa-tinto-a-bruxelles_t-20060415-0054N3.html